N. 23 - 2026

Note sous Comité des droits de l’enfant, K.K. c. Espagne, 26 janvier 2024, communication n° 165/2021, U.N. doc. CRC/C/95/D/165/2021

La version PDF de cette note est disponible dans la Chronique des constatations des comités conventionnels des Nations Unies.

Le Comité est de nouveau confronté à la question de la scolarisation des enfants résidant illégalement sur le territoire de Melilla, en Espagne. La condamnation de l’État était attendue au regard de ses prises de position antérieures. Une partie des membres du Comité s’éloigne cependant de cette dernière dans une opinion conjointe, appelant une évolution des recommandations du Comité pour permettre notamment un suivi plus effectif de ses constatations et privilégier des formulations plus proches de lespèce. Cette proposition contribue au respect des spécificités de la procédure de communication vis-à-vis de celle de l’examen périodique, en faveur de la réparation des violations constatées.

Née en 2005 dans l’enclave espagnole de Melilla de parents marocains, S.J. est sans permis de séjour mais réside de façon permanente sur le territoire mélillien. En 2020, la mère de S.J. (K.K.) dépose une demande de scolarisation à l’école publique pour ses deux enfants. L’administration espagnole rejette la demande de scolarisation de S.J. au motif que les documents fournis ne permettent pas de prouver la résidence de l’enfant à Melilla (§ 4.3). Lorsque la mère de famille soumet des documents supplémentaires (passeports marocains et livret de famille), l’État considère que ceux-ci ne suffisent pas non plus à établir la résidence, et la demande de scolarisation est de nouveau rejetée. Elle introduit divers recours administratifs et judiciaires restés sans effet, le tribunal du contentieux administratif ayant précisé que le document exigé était une attestation d’inscription au registre des habitants (document délivré seulement aux résidents légaux, ce qui n’est pas le cas en l’espèce). L’année suivante, en 2021, la demande de scolarisation est rejetée pour la deuxième année consécutive au motif d’absence de justificatifs de scolarisation antérieure.

Le 11 novembre 2021, le Comité des droits de l’enfant (ci-après le « Comité ») est saisi par la mère de S.J. contre l’État espagnol. Elle allègue des violations des articles 2, 3, 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l’enfant (ci-après la « Convention »). Pendant l’examen de la communication, le Groupe de travail des communications ordonne, à titre de mesures provisoires et avec effet immédiat, que S.J. soit scolarisée (§ 1.2). Après examen de la recevabilité, le Comité retient trois griefs, fondés sur les articles 2, 3 et 28 de la Convention.

S’agissant de l’examen de la violation de l’article 28, le Comité reprend mot pour mot ses précédentes constatations. Il réaffirme entre autres que ce droit doit être garanti à tout enfant en âge de scolarité obligatoire, sans distinction de nationalité ou de statut administratif (CRC, A.E.A. c. Espagne, constatations du 31 mai 2021, communication no 115/2020, U.N. doc. CRC/C/87/D/115/2020, § 12.4 ; CRC, A.B.A. et consorts c. Espagne, constatations du 12 septembre 2022, communications no 114/2020, 116/2020, 117/2020 et 118/2020, U.N. docs. CRC/C/91/D/114/2020, 116/2020, 117/2020 et 118/2020, § 10.4). Il précise ici que la reconnaissance d’un âge maximal pour la scolarité obligatoire ne saurait limiter l’obligation des États de garantir ce droit (§ 9 al. d.). Deux éléments viennent appuyer cette position. D’une part, la Convention s’applique à tous les enfants jusqu’à 18 ans, quel que soit l’âge de la scolarité obligatoire (article 1er). Or, les juridictions internes n’ont manifestement pas pris en compte le droit à l’éducation au-delà de la scolarité obligatoire. D’autre part, les États doivent offrir diverses formes d’enseignement secondaire accessibles à tous (article 28 § 1 al. b. ; § 7.4). Même si l’enseignement secondaire n’est pas toujours obligatoire, de nombreux États, comme l’Espagne, prévoient une scolarité secondaire obligatoire et post-obligatoire. Le Comité rappelle ainsi que, obligatoire ou non, cet enseignement doit être accessible « dans des conditions d’égalité pour tous » (§ 7.4). Il rejoint ici l’approche du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR, Le droit à l’éducation (art. 13), Observation générale no 13, U.N. doc. E/C.12/1999/10, 1999, § 13), les formulations du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels relatives au droit à l’éducation étant proches de l’article 28 de la Convention (en particulier, voir l’article 13 § 2 al. b. dudit Pacte qui dispose que l’enseignement secondaire « doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés »).

Après ces rappels, le Comité se penche sur le cas d’espèce, en se concentrant sur l’année scolaire 2020/2021 (§§ 6.2, 7.3 et 7.7). Le différend entre les parties porte sur la preuve de la résidence, exigée pour l’accès au système éducatif public local. Le Comité procède à une forme de contrôle de l’examen des preuves par les juridictions nationales (§ 7.7). Il engage un contrôle prudent, en deux temps, fondé sur les obligations internationales de l’État.

D’abord, le Comité examine la valeur probatoire minimale des documents fournis, qu’il reconnaît comme une « indication » suffisante de résidence. Ensuite, il rééquilibre la charge de la preuve (les juridictions nationales imposent entièrement la charge de la preuve à l’individu) en rappelant l’existence d’une obligation positive de l’État consistant à « obtenir rapidement une confirmation du lieu de résidence » après avoir reçu cette indication (§ 7.7 ; CRC, A.E.A. c. Espagne, précitées, § 12.7 ; CRC, A.B.A. et consorts c. Espagne, précitées, § 10.6). À cela s’ajoute une deuxième obligation : une fois la résidence confirmée, l’État doit immédiatement procéder à la scolarisation des enfants concernés. Le Comité déduit donc de la Convention des obligations concrètes, réduisant la marge d’appréciation des autorités.

Dans cette affaire, l’État a mis plus de douze mois pour confirmer la résidence, sans fournir de justification. Or, les mêmes documents avaient été présentés pour les deux années scolaires, ce qui signifie que les autorités disposaient dès 2020 d’une indication du lieu de résidence. Ce retard a empêché l’enfant d’accéder non seulement à l’enseignement secondaire obligatoire, mais aussi au post-obligatoire. En mettant en balance ce délai injustifié avec ses conséquences, à savoir l’exclusion durable du système éducatif, le Comité conclut à une violation du droit d’accès à l’éducation garanti par l’article 28 de la Convention.

S’agissant de l’examen de la violation de l’article 2, le Comité mène un raisonnement en tout point identique à celui précédemment suivi (§ 7.8 ; CRC, A.B.A. et consorts c. Espagne, précitées, § 10.7). Il observe ainsi une différence de traitement de facto et indirecte fondée sur la situation administrative irrégulière de la victime présumée et, partant, son origine nationale (§ 7.9). À la lumière des effets graves des conditions administratives imposées – l’exclusion définitive du système éducatif -, ce traitement différencié est disproportionné et emporte donc violation de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec l’article 28 (§ 7.10).

S’agissant de l’examen de la violation de l’article 3, ici lu conjointement aux articles 2 et 28, le Comité conclut à sa violation en constatant sommairement l’absence de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la procédure interne (§ 7.11). L’analyse de cet article dans ce type d’affaire demeure ainsi très variable (CRC, A.E.A. c. Espagne, précitées, § 12.9 ; CRC, A.B.A. et consorts c. Espagne, précitées, § 10.10).

Le Comité conclut enfin à la violation de l’article 6 du Protocole facultatif en raison du non-respect des mesures conservatoires qu’il a ordonnées (§ 7.12).

Après avoir établi ces différentes violations, le Comité a en grande partie repris les constatations et recommandations formulées dans de précédentes décisions. Trois membres du Comité présentent cependant une opinion conjointe partiellement dissidente critiquant la pertinence et l’imprécision de l’une d’entre elles, au regard des spécificités de la procédure de présentation des communications et du suivi des recommandations (Opinion conjointe (partiellement dissidente) de Mary Beloff, Philip Jaffé et Benyam Dawit Mezmur). Dans le cas particulier du refus de scolarisation d’enfants de nationalité marocaine nés à Melilla et résidant en situation irrégulière sur le territoire de l’enclave, le Comité a constaté à plusieurs reprises la violation de la Convention (CRC, A.E.A. c. Espagne, précitées, §§ 12.7-12.10 ; CRC, A.B.A. et consorts c. Espagne, précitées, §§ 10.6, 10.9 et 10.11). Il a ensuite systématiquement conclu à un respect total ou partiel des constatations et recommandations (CRC, Rapport d’étape sur la suite donnée aux communications émanant de particuliers, U.N. doc. CRC/C/98/2, 2025, §§ 82 et 90). Pour autant, comme le soulignent les auteurs de l’opinion, des situations similaires continuent d’être présentées au Comité (Opinion conjointe (partiellement dissidente) de Mary Beloff, Philip Jaffé et Benyam Dawit Mezmur, § 3). Cela montre un dysfonctionnement dans la formulation des recommandations et la procédure de suivi par le Comité, qu’une partie de ses membres cherche à corriger dans cette opinion en proposant de faire évoluer la pratique du Comité.